Dans le 1er épisode, je me suis penché sur les grandes étapes permettant de préparer au mieux un atelier de travail collaboratif en partant d’un retour d’expérience concret. Le temps est venu de vous partager les coulisses d’une autre grande phase cruciale : son animation !
Car oui, si la bonne préparation est une condition nécessaire à la réussite d’un atelier collaboratif, encore faut-il être en mesure d’animer correctement la session de sorte à amener le groupe sur les livrables attendus.
Pour vous partager mon expérience avec les collaborateur de la compagnie d’assurance AGI Secure (client anonymisé pour l’article), un petit mot sur le contexte : dans le cadre d’un grand projet de transformation, l’entreprise souhaitait transformer ses process internes de sorte à améliorer l’expérience client. L’atelier se concentrait ici sur un domaine d’activité bien spécifique ; celui des réclamations.
L’objectif principal de cet atelier était donc d’imaginer de nouvelles façons de traiter les réclamations pour être en mesure de répondre à l’adhérent en un seul temps. Plus de transfert de dossier ou d’appel, délai de traitement réduit, réponse immédiate quelle que soit le canal de communication… telles étaient les ambitions de la démarche. Le tout, bien entendu, en tirant le meilleur de l’intelligence collective.
Afin de vous raconter comment s’est déroulé l’atelier, je vais vous épargner la description factuelle et exhaustive de toutes les étapes de réflexion du groupe pour me concentrer davantage sur les quelques éléments qu’il me semble intéressant de décrypter ensemble.
Pour rappel, voici le macro-déroulé prévu :
L’ENVIRONNEMENT
Il est difficile de parler d’animation à distance sans aborder le sujet de l’environnement (physique, mais surtout numérique). Outil de visio, tableau blanc collaboratif, documents partagés, connexion plus ou moins stable, caméra coupée … autant de paramètres qui viennent faciliter ou, au contraire, complexifier les échanges.
Vous pouvez d’ailleurs retrouver nos recommandations sur le sujet dans une vidéo dédiée pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin.
Dans le contexte AGI Secure, nous avons opté pour l’utilisation de Klaxoon en guise de support de réflexion, un tableau blanc collaboratif que les organisations commencent à utiliser de plus en plus et avec lequel nous avons l’habitude de travailler.
Pour la visio, entre blocages internes et habitudes des équipes, la solution intégrée Google Meet a été préférée, puisqu’elle restait l’outil alors le plus largement utilisé par les collaborateurs.
Sachant que Klaxoon restait une solution encore peu diffusée au sein d’AGI Secure, un espace de prise en main a été envoyé en amont aux collaborateurs pour leur apprendre les bases de l’outil et ainsi s’assurer que chacun.e était en capacité de se connecter, créer un post-it, se déplacer dans le tableau et se synchroniser sur la vue du facilitateur.
Cette pratique est une de celles que nous systématisons lors de nos ateliers ou formations à distance ; envoyer un mail en amont aux participants (quelques jours avant) permet de faire office de rappel pour le groupe tout en responsabilisant chacun sur la prise en main de l’outil.
E = P x C –- CRÉER UN ESPRIT DE GROUPE SANS SE VOIR
Au Worklab, nous avons pour habitude de dire que l’efficacité d’un groupe est dépendante de deux éléments bien spécifiques : sa production et sa cohésion. C’est dans cette équation que se cachent les clés d’un bon atelier collaboratif, qu’il soit à distance ou en physique.
Pour notre cas d’étude ici, il est important de préciser qu’aucun.e participant.e n’avait la possibilité d’activer sa caméra. Restrictions internes liées à la bande passante, les ordinateurs professionnels bloquaient tout simplement leur activation. Ayant pris connaissance de cette contrainte lors de la préparation, le risque de ne pas créer une cohésion de groupe suffisante m’apparaissait ici comme un des principaux dangers de la session : comment limiter l’impact néfaste de la distance sur l’esprit de groupe alors même que personne ne peut se voir ? Comment contourner l’aspect froid et formel d’une mosaïque d’initiales sur fond noir ?
Afin d’adresser ce problème, j’ai opté pour un exercice d’inclusion très clairement conçu pour briser au maximum ce sentiment de distance.
Comme le montre l’image, chacun.e était amené.e à se dessiner sur un post-it, qui servirait ensuite d’avatar pour le reste de l’atelier. Entre gêne et amusement, liés à la difficulté de l’exercice ainsi qu’à son résultat, nous avions enfin des visages à poser sur des initiales ! Il aurait tout à fait été possible d’importer de vraies photos à la place, mais l’utilisation du dessin permet aussi de souligner une notion importante pour la suite : l’autocensure. L’occasion pour moi de poser quelques règles de bon fonctionnement, comme par exemple que chaque production, idée, suggestion, est à prendre en compte. Et ce quel que soit son niveau ou sa qualité. La richesse du collectif passe justement par les points de vue de tout le monde, sans censure ni jugement !
Pour compléter l’exercice et justifier un premier tour de table, j’ai demandé de placer son nouvel avatar à proximité d’un objet présent sur l’image et qui se trouvait aussi à côté de son espace physique. Vous êtes installé proche de votre fenêtre ? Vous avez une tasse pleine de café à votre gauche ? Un livre pour surélever votre écran peut-être ? Ou même le jouet de votre enfant à qui vous avez emprunté la chambre le temps de l’atelier ? L’occasion de proposer un premier tour de table qui vient, là aussi, briser le sentiment de distance en permettant au groupe de projeter une image concrète des environnements de chacun malgré l’absence de caméra.
E = P x C –- AVOIR LA SENSATION D’AVANCER
Sachant l’équipe rompue à l’exercice de la réunion en visioconférence, il me semblait important d’éviter certains schémas aujourd’hui récurrents et qui pourraient nuire à l’efficacité collective. Je peux citer ici le traditionnel tour de table qui apporte avec lui débats et désaccords, sans pour autant avoir la sensation de décider de quelque chose. Trop souvent les collaborateurs ressortent avec la sensation de ne pas avoir avancé, de n’avoir rien produit de concret. J’en reviens à mon équation : comment mettre en lumière la production des participant.e.s ?
Une des réponses possibles à cette question réside, selon moi, dans la façon de structurer l’espace de travail. Comme l’image le montre ici, l’atelier a été décomposé en séquences très clairement définies, autant par la consigne que par l’espace même.
Chaque exercice a son propre emplacement et il est possible, à tout moment, de prendre du recul sur la démarche générale pour voir où nous en sommes à l’instant t.
Une telle structuration est, selon moi, indispensable pour appuyer ce sentiment de production : rendre les avancées de l’équipe visibles et concrètes pour avoir réellement l’impression de passer d’une étape à une autre, de faire un pas supplémentaire vers les livrables attendus.
Il est aussi possible de jouer avec les couleurs, faire que chaque grande séquence soit incarnée par une nuance spécifique pour plus facilement se démarquer de la suivante : « Tiens, nous quittons le rose pour le jaune, cela veut dire que nous passons de la séquence d’inclusion à celle d’analyse. »
Si, d’un coup d’œil rapide, l’espace de travail peut paraitre complexe, je peux vous assurer que la délimitation dans l’espace et l’utilisation de couleurs thématiques sont des leviers très puissants pour matérialiser la production continue d’un groupe.
E = P x C –- PRODUCTION ET COHÉSION : COMMENT RÉELLEMENT FAIRE ENSEMBLE ?
Le dernier point important que j’aimerais partager ici est celui du faire ensemble.
Comment, malgré la distance, les outils numériques pas toujours maitrisés, le jargon métier des uns et les débats des autres, pouvons nous faciliter la production collective et tirer le meilleur du groupe pour un vrai temps collaboratif ?
Les réponses sont bien entendu multiples, mais je vais me pencher sur deux principales : la dynamique de groupe et la pièce à casser.
1 – La dynamique de groupe
Un temps collectif est rythmé par différentes séquences, elles-mêmes divisées en plusieurs exercices.
Dans ce dispositif, le rôle du facilitateur intègre la mission de permettre à chacun.e de s’exprimer, de partager son point de vue, et ce quelle que soit la taille du collectif. Se priver de l’avis d’une personne, c’est se priver d’une part de l’intelligence du groupe.
Une des méthodes pour répondre à ce besoin se prête tout particulièrement au distanciel ; le un, plusieurs, tous. Comme son nom l’indique, cette pratique consiste à diviser les temps de réflexion en trois séquences : un temps individuel, un second temps en petits groupes (2 à 4 maximum), puis un dernier temps en équipe complète. Le fait de fractionner la réflexion de cette manière permet d’abord de s’assurer que tout le monde a un temps seul.e, pour se forger sa propre opinion avant d’entendre celle du groupe.
Ensuite, le temps en petit groupe offre un espace de prise de parole plus sécurisant (pour les plus timides), mais aussi plus simple puisque les échanges se concentrent sur peu de personnes en même temps. Enfin, le temps de partage tous ensemble devient un tour de table où chaque groupe est représenté par une seule et voix. Imaginez un groupe de 8 participants comme dans le cas d’AGI Secure ; la méthode du un, plusieurs, tous permet donc d’avoir l’expression de tout le monde mais de ne faire qu’un tour de table de quatre partages (4 petits groupes de 2 personnes) et non pas de 8 prises de paroles successives.
2 – La pièce à casser
Un autre rôle du facilitateur consiste à créer les meilleures conditions pour que le collectif puisse s’exprimer à pleine puissance. J’aime utiliser pour cela le concept de pièce à casser. C’est-à-dire de mettre à disposition un objet (dans notre cas une infographie de process), qui a pour vocation à être modifié, transformé, voire même entièrement remanié.
Cette pièce à casser permet d’éviter la fameuse page blanche. D’expérience, il est souvent difficile de lancer une réflexion collective en ne partant de rien d’autre qu’une page blanche alors qu’il est bien plus simple d’amorcer les échanges en réaction à quelque chose qui nous est présenté.
Comme le montre cette image, nous avons donc construit, avec l’équipe projet, un premier process représentant l’organisation actuelle liée au traitement des réclamations. Avec d’un côté les actions habituelles de l’adhérent et l’autre celles des collaborateurs AGI Secure, ce schéma permet de jouer le rôle d’objet frontière pour canaliser les échanges, mais aussi d’offrir une matière manipulable sur laquelle réagir. Il est alors possible pour les participants de déplacer, supprimer ou modifier chacun des éléments du process (images, post-its et liens) de façon à créer un nouveau process cible idéal.
La pièce à casser permet à la fois de donner le ton (montrer le niveau de livrable attendu) et de faciliter la production par la forme, en laissant les participants se concentrer sur une seule et même chose : le fond !
Pour terminer…
Pour terminer ce retour d’expérience, j’aimerais vous partager un morceau de rétrospective que je recommande à tout facilitateur une fois son atelier terminé.
Ce que j’ai aimé…
j’ai réellement apprécié la relation de partenaires qu’induit un format de codesign. Les sessions de codesign (co-conception) en amont de l’atelier permettent à la fois d’adresser les bons problèmes, mais aussi de créer une relation de confiance avec l’équipe projet côté client. Et une fois la confiance installée, la collaboration n’en n’est que plus agréable encore !
Ce que j’ai raté…
Ce que je peux considérer avoir raté, c’est certainement la forme du livrable en elle-même. Si le fond est riche et bien présent, avoir un livrable au format Klaxoon ne se suffit pas pour être facilement exploité par l’équipe projet. Un temps de remise en forme et de synthèse a été nécessaire après l’atelier, temps qui n’était pas prévu et qui aurait pu être évité si j’avais accepté de sortir de Klaxoon un peu plus tôt avec le groupe. Une synthèse projet à construire directement en atelier au format PPT peut-être ?
Ce que j’ai appris…
être amené à devoir adapter une demande initiale d’atelier présentiel en format distanciel. Cet exercice de conception m’a offert l’opportunité de challenger bon nombre de réflexes et d’aller me questionner bien plus en profondeur sur l’expérience vécue par les participants. Les codes étant différents et l’environnement bien spécifique, j’ai appris qu’il n’y a jamais trop de mise en empathie avec les parties prenantes.
Ce qui m’a manqué
si je ne pense pas avoir manqué de temps pour préparer l’atelier, j’ai l’impression de ne pas avoir provoqué assez de temps de challenge avec mes collègues du Worklab. Ces points d’étapes sont toujours structurants dans la phase de conception et il me semble, après ce retour d’expérience, que quelques sessions de travail avec d’autres facilitateurs auraient fluidifié encore un peu plus l’expérience vécue par les participants.
Voilà qui termine le second article dédié à la conception et l’animation d’un atelier de travail collaboratif ! En espérant que cela vous donne quelques pistes pour appréhender différemment vos prochaines sessions !