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Longtemps cantonnées au développement de nouveaux produits, à la reconception de processus ou à la mise au point de modèles d’affaires originaux, les méthodes d’innovation sont aujourd’hui confrontées à des défis à l’échelle des organisations.
Nous pouvons espérer qu’en diffusant patiemment ces méthodes au sein des différents services nous voyions, peu à peu, l’innovation apparaître partout. Ce n’est pourtant pas si simple car —malgré des points communs— chaque méthode a été élaborée pour une situation précise et montre ses limites lorsque nous essayons d’en généraliser l’utilisation.
Connaître la paternité et l’histoire de ces méthodes nous donne quelques indications sur l’usage le plus approprié que nous pouvons faire de chacune d’elles. Cette compréhension nous servira aussi de socle pour aller plus loin. Nous verrons comment combiner à bon escient ces méthodes pour les utiliser à la dimension d’une organisation ou de toute une population.
Caractéristiques communes
D’après Emmanuel Kant « On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter ».
Deux siècles après le philosophe des Lumières, les sciences neurocognitives nous apportent un autre éclairage sur le fonctionnement de l’esprit humain. Nous savons désormais qu’il cherche plus souvent à préserver le confort rassurant de ses croyances qu’à se libérer par ses capacités de doute et d’entendement.
Dès lors, nous voyons bien l’intérêt de cultiver le doute avec une démarche structurée. Depuis l’Antiquité, la philosophie occidentale et, plus récemment, la méthode scientifique, en ont démontré l’utilité. Les méthodes d’innovation partagent toutes cette conviction.
Paradoxalement, une méthode d’innovation consiste à encadrer le décadrage.
La certitude n’empêche pas l’innovation incrémentale ou la sérendipité mais pour faire de véritables découvertes nous devons explorer l’inconnu. Souvenons-nous de Niels Bohr : « ce n’est pas en améliorant la bougie qu’on a inventé l’électricité ».
Il n’est évidemment pas très facile de surmonter nos croyances limitantes, de nous défaire de nos habitudes de pensée ou de nous affranchir de nos postures défensives. La première chose que nous attendons donc d’une méthode d’innovation —et cela peut paraître paradoxal— est qu’elle nous aide à quitter notre zone de confort, afin de porter un nouveau regard sur ce qui nous semble acquis, tout en instaurant un cadre sécurisé et stimulant.
Une des caractéristiques communes aux méthodes d’innovation actuelles est justement de tenir compte de cette dimension humaine et d’utiliser le collectif pour pallier les limites individuelles.
L’autre point commun entre ces méthodes est qu’elles explorent tour à tour l’espace du problème et l’espace des solutions, avec plus ou moins d’allers-retours entre les deux, dans le but de stimuler notre curiosité, favoriser les détours créatifs, puis revenir vers les objectifs fixés avec de nouvelles opportunités et des solutions inédites.
Avoir une méthode pour innover permet aussi :
- De ne pas se perdre en chemin, en appliquant les recettes que d’autres ont découvertes et expérimentées avant.
- De suivre en groupe un même itinéraire pour partager la vision et prendre des décisions collectives.
- De ne pas se fier au hasard ou attendre que la bonne idée arrive quand elle le voudra bien.
- De s’appuyer les uns sur les autres pour s’empêcher de juger prématurément, s’inspirer mutuellement, élargir ses points de vue et se donner du courage.
- De s’autoriser à explorer et à se tromper, dans un cadre sécurisé.
- De prendre du plaisir ensemble et souder le groupe autour de projets communs.
Quelle méthode pour quel usage ?
Partir de la technologie : le service de Recherche & Développement
Les premières méthodes à avoir vu le jour s’appliquaient essentiellement à des innovations techniques. Elles avaient pour objet de faire aboutir les projets issus de la R&D en minimisant les risques commerciaux et financiers.
De fait, ces méthodes s’apparentent davantage à des méthodes de gestion de projet. Dans ce contexte, le processus d’innovation est vu comme une fusée. Chaque étage contribue à réduire l’incertitude du lancement par une série d’études devant confirmer la faisabilité technique, l’opportunité stratégique et l’adéquation aux capacités de l’organisation. À chaque étape, une validation interne détermine la continuation ou l’arrêt du développement.
Si cette méthodologie reste utilisée dans de nombreuses entreprises, les étapes de conception sont devenues plus créatives et les méthodes d’innovation se sont diversifiées.
Partir d’un besoin : le Creative Problem Solving, traduit par « résolution de problème créative » en Français
La méthode Creative Problem Solving (CPS) a été mise au point dans les années 50 par Alex Osborn —l’inventeur du brainstorming— et Sidney Parnes. Osborn était le « O » dans la célèbre agence de publicité BBDO. L’idée du brainstorming lui est venue en observant travailler les créatifs de son agence. Osborne avait remarqué que ceux-ci ne critiquaient pas les idées au fur et à mesure qu’elles leur venaient mais attendaient d’avoir exploré plusieurs pistes avant de sélectionner la plus intéressante. Le concept de pensée divergente et pensée convergente était né. Il est aujourd’hui au cœur de la plupart des techniques de créativité appliquée.
Dans Creative Problem Solving les trois mots sont importants. Ils traduisent la volonté des concepteurs de trouver des idées à la fois très créatives, répondant précisément à la problématique posée et débouchant sur des solutions réellement applicables.
La méthode est structurée en trois grandes étapes. Ce que nous appelons la respiration créative, c’est-à-dire l’alternance entre pensée divergente puis convergente, est utilisée à chaque étape afin de stimuler la créativité des participants et favoriser la sélection d’idées originales.
La première étape permet de clarifier la problématique et de formuler un défi créatif motivant. À ce stade il est capital que les participants s’imprègnent des faits, partagent leur vision d’une solution idéale et en comprennent les enjeux. Le rôle du facilitateur est d’aider l’équipe à converger vers une question puissante, ni trop large ni trop orientée, qui débutera généralement par « Comment pourrions-nous… » ou le fameux « How might we… » repris depuis par le Design Thinking.
Ce travail préparatoire permettra à chacun de créer de nouvelles connexions inspirantes et donnera l’élan créatif au groupe. Si au terme d’un brainstorming vous n’avez obtenu que des idées banales, c’est probablement que vous avez raté cette étape.
La deuxième étape comprend une phase d’idéation et une phase de sélection des idées selon les critères retenus par le groupe pour se rapprocher de l’objectif défini précédemment. Selon son expérience et la composition du groupe, le facilitateur utilisera différentes techniques pour favoriser le décadrage, provoquer l’imagination et encourager l’exploration de pistes inédites. La phase de convergence permettra d’identifier les pistes les plus prometteuses, les plus impactantes, les plus motivantes ou les plus accessibles correspondant au problème initial.
La troisième étape est dédiée au développement des solutions à partir des pistes retenues et à la préparation à l’action. Le principal défi ici est de ne pas perdre en cours de route la force des idées les plus originales. Une des particularités du CPS est que l’acceptabilité des solutions est prise en compte dans cette dernière étape.
Le Creative Problem Solving (résolution de problème créative) est une méthode qui se prête bien à des situations où le besoin est connu et où on cherche des solutions créatives et motivantes tout en étant attentif à les rendre applicables. Le CPS est utilisé par des professionnels de la créativité ou des facilitateurs aguerris pour créer des noms de marques, venir à bout de problématiques marketing ou de questions stratégiques, imaginer de nouveaux concepts ou faire évoluer des systèmes existants.
Placé par Osborn dans le domaine public, le CPS continue à être développé par de nombreux praticiens à travers le monde.
Partir d’une problématique floue : l’approche Design Thinking
Palo Alto, en Californie, est un creuset où se fondent de nombreux courants de pensées. Le Design Thinking, né là-bas, est une synthèse des bonnes pratiques partagées par les professionnels de la conception : architectes, urbanistes, designers industriels, ingénieurs. Si les précurseurs ont introduit certains de ses principes dans le monde académique dès les années 60, notamment à l’université Stanford, le Design Thinking a été réellement popularisé par David Kelley et Tim Brown, cofondateurs de l’agence IDEO à partir de années 90.
Le Design Thinking, que nous pourrions traduire par « démarche inspirée du design », a le mérite de formaliser la pratique et de la rendre accessible à un large public. Pour Kelley, il était important d’arriver à déverrouiller le potentiel créatif de chacun et de créer une culture qui permettrait à l’innovation de devenir une routine des organisations.
Une des caractéristiques remarquables du Design Thinking est qu’il place l’humain au cœur de la démarche. C’est une approche qui privilégie l’intelligence collective, l’écoute et la collaboration.
La phase initiale, dite d’empathie, offre à l’équipe de designers l’occasion d’observer les utilisateurs, l’écosystème et les usages sous différents aspects. Une équipe pluridisciplinaire pourra combiner des méthodes ethnographiques avec des entretiens individuels, des enquêtes ou des expériences d’immersion. L’équipe alterne des actions sur le terrain, apportant une compréhension sensible de la problématique, avec des moments d’analyse en groupe et de partage des découvertes éclairantes.
Au fur et à mesure de son avancement, l’équipe pourra utiliser le storytelling et le prototypage pour affiner sa compréhension, se plonger dans le vécu des futurs utilisateurs et recueillir leurs réactions. Des persona pourront représenter les profils d’utilisateurs ou de parties prenantes impliquées tout au long de la démarche.
Lorsque l’équipe pense avoir collecté assez de matière pour nourrir sa réflexion, elle tente de formuler une question puissante capable d’embrasser la problématique et d’inspirer l’idéation. Cette articulation entre la phase d’inspiration et celle d’idéation est cruciale. Une question trop large ne sera pas efficace, les participants ne sachant pas par quel bout prendre le problème. À l’inverse, une question trop directive canalisera les participants sur les détails plutôt que sur une solution globale et innovante. Enfin, cette question devra donner envie aux participants de se démener pour résoudre le problème.
La réussite de la phase d’idéation —parfois réduite à un simple brainstorming— dépend beaucoup de l’expérience des facilitateurs et de leur capacité à créer un climat créatif favorable à une expression personnelle fluide, imaginative et débridée. Cependant, si le travail de préparation a été correctement réalisé, la génération d’idée devrait produire des résultats acceptables. Dans le cas contraire, l’équipe peut revenir sur la définition de la problématique ou essayer d’autres techniques de créativité. Le Design Thinking n’est pas une méthode linéaire. Les itérations sont bienvenues et les erreurs ou l’échec sont vues comme des sources d’inspiration, d’apprentissage et de progrès.
Le passage d’une bonne idée à une bonne solution n’est pas toujours évident. En Design Thinking on évalue la qualité de ses productions selon trois critères : la désirabilité, du point de vue de l’utilisateur, la faisabilité technique et organisationnelle ainsi que la viabilité, c’est-à-dire la capacité à apporter de la valeur aux utilisateurs tout en se démarquant durablement de la concurrence et en générant un profit pour l’entreprise.
Comme le CPS, le Design Thinking s’appuie sur des respirations créatives pour la phase de problématisation et d’idéation mais privilégie l’expérimentation lors de la dernière étape. Le prototypage et les tests permettront d’améliorer successivement la désirabilité, la faisabilité et la viabilité par itérations successives, jusqu’à ce que la solution obtenue soit jugée satisfaisante.
Le Design Thinking excelle dans les domaines où la problématique est mal cernée ou difficile à exprimer. Moins structuré que le CPS, le Design Thinking met d’avantage l’accent sur l’intuition et l’analyse que sur la créativité pure. Il s’appuie sur des outils visuels pour naviguer dans la complexité et sur le prototypage itératif pour aboutir à des solutions réellement opérationnelles.
Partir des contraintes : les méthodes agiles
Un autre domaine où la conception pèse lourd est le développement informatique. Une plaisanterie circulait dans les milieux informatiques au cours des années 90 : « Pour savoir combien de temps prendra un développement, prenez le délai annoncé, multipliez-le par deux et rajoutez dix pourcent ». Le problème est que c’était souvent vrai car la finalisation du logiciel (tests, corrections de bugs, optimisation, recettage et mise en production) pouvait considérablement faire déraper les délais et les budgets. Les clients étaient insatisfaits et les développeurs avaient le sentiment de travailler à perte.
Pour contrecarrer ces problèmes, les sociétés de services informatiques adoptèrent des méthodologies plus lourdes. Elles imposèrent à leurs clients la rédaction de cahiers de charges détaillés, une analyse approfondie, la validation des spécifications avant le début des développements, une gestion de projet rigoureuse et des procédures de recettage fastidieuses.
Disons tout de suite qu’il n’y avait pas de place pour intégrer une demande de dernière minute, prendre en compte un changement du contexte, corriger le tir si l’analyse initiale se révélait en décalage avec les besoins réels des utilisateurs ou tout simplement pour faire face aux aléas. Malgré cette procédure rigide, le taux d’échec des projets restait élevé. Les clients continuaient à être mécontents, les utilisateurs frustrés et les développeurs déprimés. Les litiges étaient inévitables et coûteux.
Les experts en développement informatique cherchèrent des solutions sur plusieurs fronts. En remplacement du développement « en cascade » ou en « V », ils proposèrent de construire le logiciel de manière itérative et incrémentale. Ils établiraient dorénavant une relation resserrée avec le client et les utilisateurs. Ils tiendraient les délais et les budgets en se concentrant sur les fonctions essentielles, ayant une valeur ajoutée importante pour les utilisateurs et en livrant fréquemment des versions fonctionnelles. Ils ritualiseraient les pratiques favorisant une amélioration continue de la qualité du code mais aussi du fonctionnement de l’équipe de développeurs.
En 2001, dix-sept experts se réunirent pour partager leurs bonnes pratiques. Ensemble, ils élaborèrent le Manifeste Agile exposant 4 valeurs et 12 principes fondateurs de ce qui s’appellerait désormais les Méthodes Agiles. L’humain y occupait une place centrale. Pour les tenants de l’agilité, l’autonomie, l’auto-organisation, le dialogue et la confiance comptent plus que les méthodes, les outils, les contrats ou la documentation des développements.
Depuis, les équipes qui veulent appliquer concrètement les principes agiles ont modifié leur façon de travailler. Elles invitent les utilisateurs à des ateliers participatifs, des remue-méninges et des « démos » permettant de présenter le travail accompli. Elles utilisent des outils visuels —parfois ludiques— pour concevoir les fonctions de l’application, prioriser les développements et suivre l’état d’avancement du projet. Les nouveaux coachs agiles —s’inspirant d’autres méthodes d’innovation— ont appris à faciliter les réunions avec des méthodes favorisant l’intelligence collaborative, la créativité, l’engagement et la réflexivité.
Cependant, à la différence du Creative Problem Solving et du Design Thinking, qui cherchent à créer le maximum de valeur au moment de la conception, les méthodes agiles offrent un moyen de créer de la valeur en continu, pendant la réalisation du projet, quitte à ce que le résultat soit moins esthétique dans un premier temps. Les méthodes agiles sont bien adaptées à des projets complexes et réduisent les risques de découvrir une erreur de conception à un moment avancé du projet, quand il serait trop coûteux de la corriger.
Partir d’une vision : la démarche Lean Startup
Au début des années 2000, la Silicon Valley était en pleine ébullition. Des milliers d’ingénieurs, qui avaient tout juste quitté l’école avec leur diplôme en poche, travaillaient avec acharnement pour bâtir le futur de l’humanité autour d’une invention qui fêtait à peine son dixième anniversaire : internet.
L’un d’entre eux, Eric Ries, cofondateur d’une startup naissante, se demandait pourquoi autant de bonnes idées, portées par des équipes talentueuses et soutenues par des financeurs motivés, échouaient malgré tout. Il arriva à la conclusion que nombre d’entre-elles fournissaient des efforts intenses pour réaliser des produits dont personne ne voulait. En appliquant les méthodes classiques de gestion de projet elles ne comprenaient que trop tard ce que les clients attendaient vraiment. C’était un énorme gaspillage et beaucoup de désillusions.
Par chance, la startup d’Eric Ries avait parmi ses investisseurs Steve Blank, qui prônait depuis quelque temps l’idée que le développement commercial d’une startup est aussi important que l’aspect technique et mérite d’être guidé par une méthodologie tout aussi rigoureuse.
En observant les méthodes lean de l’industrie automobile, Ries eut l’idée d’appliquer leurs principes au processus d’innovation. Puisqu’une startup n’est pas une organisation comme les autres —son but en phase start n’est pas de gagner de l’argent ou des clients mais d’apprendre comment cela pourra être réalisé à grande échelle dans la phase up— l’acquisition de connaissances validées devait devenir la priorité.
Cet apprentissage validé scientifiquement a besoin d’expérimentations rapides et focalisées sur les hypothèses de travail critiques. Il faut apprendre à échouer vite et souvent pour que l’apprentissage se fasse à moindre coût. Le principe fondamental du Lean Startup est posé : transformer les idées en produits expérimentaux (MVP), mesurer la réaction des utilisateurs, en tirer des enseignements et itérer jusqu’à ce que la startup soit en mesure de décider s’il vaut mieux continuer ou pivoter vers un autre modèle d’affaires.
D’autres entrepreneurs comprirent la vision d’Eric Ries et rejoignirent le mouvement Lean Startup qui gagna jusqu’à la Maison Blanche et les 500 plus grandes entreprises mondiales, transformant au passage la pensée entrepreneuriale et le management du XXIe siècle.
Si le Lean Startup a connu cet engouement, c’est probablement aussi parce qu’il colle à la manière d’être des entrepreneurs qui réussissent. Ils ont une vision à long terme mais écoutent leurs clients pour maximiser la proposition de valeur. Ils font un plan proche du terrain, fondé sur les faits éprouvés. Ils acceptent l’incertitude et travaillent avec la notion de perte acceptable. Ils anticipent tout ce qui pourrait ne pas marcher. Ils sont très attentifs à la croissance.
Le Lean Startup permet de structurer une démarche entrepreneuriale itérative en recherchant tour à tour —à partir de la problématique détectée— l’adéquation entre un besoin et une solution, puis entre la solution et le marché et finalement, entre l’écosystème de la solution et l’organisation.
Le Lean Startup est particulièrement efficace lorsqu’on a déjà une idée ou une technologie et qu’on cherche à trouver à la fois l’adéquation avec le marché, une organisation capable de délivrer un maximum de valeur aux clients et un modèle d’affaires contentant les actionnaires.
Approche globale : vers une convergence stratégique
Apple est considérée comme une entreprise technologique. Ses innovations sont attendues sur ce terrain. Mais prenons le succès de l’iPhone. Peut-il être résumé à l’intégration sophistiquée d’un téléphone, d’un appareil photo, d’un écran tactile et de fonctions d’assistant personnel ? La vraie force de l’iPhone vient de l’écosystème qui relie l’utilisateur à la marque, du modèle d’affaires qui a favorisé la création d’un immense catalogue d’applications, de l’image que le marketing d’Apple a su injecter ainsi que de l’expérience de marque qui résulte de cet ensemble et qui va bien au-delà d’une simple expérience d’utilisation.
Aujourd’hui, une bonne innovation ne se limite plus à un produit ou un service. Elle offre une valeur ajoutée globale, qui fait la différence dans la vie du client ou de l’utilisateur, même modestement.
Pour parvenir à concevoir et délivrer cette valeur, l’innovation doit faire converger les aspirations des clients, la vision stratégique de l’entreprise, les objectifs d’affaires, l’alignement des capacités internes et les opportunités de marché, vers une solution à la fois cohérente, engageante et distinctive.
Après cela, l’innovation qui a reçu l’aval de la direction, de la production, du service financier et du marketing, a encore un long chemin à parcourir. Elle doit s’intégrer autant dans l’organisation existante que dans son écosystème et prouver sa capacité à supporter le passage à une plus grande échelle, tout en survivant aux contingences et aux aléas du quotidien.
Concrètement, cette approche globale se traduit par une utilisation combinée des différentes méthodes d’innovation pour couvrir les phases de génération, de développement et de déploiement. Selon Gartner, cette articulation pourrait être représentée de la manière suivante.
Source Gartner
D’une boîte à outils commune à une culture entrepreneuriale
Apple a réussi à devenir une entreprise durablement profitable. Elle se démarque admirablement de ses concurrents. Elle satisfait ses utilisateurs, ses employés et ses actionnaires. Cependant, tout le monde ne peut pas reproduire cette réussite.
Une des difficultés que rencontrent les entreprises est qu’il n’y a pas de chemin balisé vers le succès ou de martingale entrepreneuriale. S’il n’existe pas de méthode d’innovation systémique —c’est-à-dire une méthode qui mette à contribution l’ensemble des services (y compris service financier, RH, commercial…) et qui intègre l’innovation, la stratégie, le déploiement ainsi que l’accompagnement du changement— nous pouvons toujours nous inspirer des bonnes pratiques des organisations innovantes.
Les méthodes d’innovation ne sont pas étanches. Un même praticien peut s’intéresser à plusieurs méthodes, emprunter ce qui marche bien pour l’employer ailleurs. Nombre d’outils utilisés aujourd’hui dans les ateliers d’innovation, comme la Carte d’Empathie, le Canevas de Proposition de Valeur ou le Business Model Canvas, ont été inspirés par une méthode et repris par les autres.
D’une manière plus générale, qu’est-ce qui nous empêche d’appliquer les principes du Design Thinking à la stratégie, de cultiver un management agile, de concevoir des modèles d’affaires expérimentaux ou d’introduire de la créativité dans l’amélioration des modes opératoires ?
Les « agilistes » ont été parmi les premiers à s’interroger sur leurs pratiques et à chercher comment appliquer ce qu’ils ont appris à d’autres domaines que la gestion de projet informatique. Comment innover pour délivrer plus de valeur aux clients. Comment accélérer et fiabiliser la prise de décision dans un contexte de forte incertitude. Comment renouveler le management pour le rendre plus participatif et plus émancipant.
Les managers agiles ont compris que le développement personnel et le bien-être de chaque collaborateur contribue à la performance collective. Ils ne se contentent plus d’organiser et de motiver leur équipe. Ils pratiquent un leadership porteur de sens et apportent de la valeur ajoutée à leur équipe.
Dernièrement, l’agilité s’est aussi emparée de la stratégie. Elle a modifié radicalement la manière d’optimiser et de transformer les systèmes, de fluidifier la création de valeur, de repenser les organisations.
Dans un contexte où les technologies sont copiables, parvenir à créer une culture collaborative, innovante et agile —qui change la manière de travailler et les relations entre les personnes— engendre des dynamiques favorables à la créativité et à l’adaptation. Cette capacité dynamique procure un avantage compétitif durable et difficilement imitable par les concurrents.
Cette force interne est également indispensable pour parvenir à délivrer en externe une expérience de marque désirable, engageante et distinctive.
Partir du système : les 5 pouvoirs des organisations innovantes
Si nous examinons attentivement ce qui favorise la réussite d’une innovation, d’un projet entrepreneurial ou d’un changement organisationnel, nous retrouvons 5 facteurs dont la maîtrise est déterminante :
- L’inspiration.
- La conception.
- L’expérimentation.
- L’intégration.
- Le changement d’échelle.
Une partie du secret tient dans l’enchaînement de ces 5 facteurs et à la manière dont chacun contribue au succès final.
L’inspiration
L’inspiration est fondamentale. Il ne peut pas y avoir de bonne conception si la problématique a été mal définie ou si le contexte a été mal compris.
De nombreux projets échouent uniquement parce que les parties-prenantes ne sont pas d’accord sur le diagnostic. Quelle que soit l’intelligence des solutions proposées, elles ne passeront pas si elles ne peuvent être acceptées par les personnes concernées. La phase d’inspiration a donc aussi ce rôle médiateur nécessaire à un cadre de travail serein et à un partage des représentations.
Enfin, le but de la phase d’inspiration est de rassembler les acteurs autour d’une problématique formulée de telle sorte qu’elle donne à chacun de l’énergie et de l’inspiration.
La conception
La conception est une phase délicate. Si elle est mal menée, elle peut aboutir à des idées banales, peu innovantes ou difficilement applicables.
L’originalité recherchée pendant l’idéation doit ensuite être préservée dans les phases de sélection et d’élaboration des solutions.
Cette phase sera souvent confiée à un facilitateur expérimenté qui saura emmener le groupe dans des détours créatifs fertiles avant de le ramener vers les objectifs définis.
L’expérimentation
Innover, c’est chercher le point de fusion entre un futur audacieux et un présent pragmatique. L’endroit où la valeur à la fois esthétique et utilitaire devient maximale.
L’expérimentation présente de nombreux avantages :
- Elle est le meilleur moyen d’obéir aux principes de la théorie MAYA de Raymond Loewy pour fournir la solution la plus en avance restant acceptable (Most Advanced Yet Acceptable), afin de rester en tête de la compétition.
- Elle permet de valider des hypothèses de travail reposant sur des intuitions ou des croyances.
- Elle permet d’adapter la solution à la fois à la demande, au contexte de marché et à l’organisation interne.
C’est une étape de transition indispensable pour intégrer progressivement la solution dans l’organisation existante.
L’intégration
Réussir une innovation ou un changement d’organisation ne s’arrête pas à une bonne conception. Le travail doit se poursuivre sur le terrain. Cela consiste souvent à trouver le bon équilibre entre une vision magnifique et généreuse, d’une part, et un quotidien pusillanime et impérieux, parfois nécessiteux, de l’autre.
Le management doit aider l’innovation à trouver son chemin dans l’organisation et à prendre tout son sens, quelques fois en confrontation avec la culture existante, la pensée dominante ou des objectifs à court terme.
Sans alignement interne, difficile toutefois d’imaginer que l’organisation parvienne à produire une expérience de marque exceptionnelle à destination de ses clients ou usagers. C’est la collaboration entre les différents services qui permettra de concevoir et de mettre au point cette expérience. Pour se donner les meilleures chances de réussir il faut envisager l’intégration comme une étape naturelle du processus d’innovation et embarquer tous les services dans cette aventure commune.
Le changement d’échelle
Combien de projets vivotent ou sont abandonnés faute d’avoir franchi cette étape. Qu’il s’agisse d’industrialiser, d’exporter, de franchiser, d’absorber un concurrent ou tout simplement d’accélérer la croissance organique, les changements s’accompagnent de nouveaux défis structurels, organisationnels, financiers ou culturels.
Le changement d’échelle peut aussi être vu comme la dernière étape de maturité dans le développement organisationnel ou comme l’aboutissement d’un projet. C’est l’occasion de capitaliser les acquis de l’expérience et de travailler sur les moyens de devenir une organisation apprenante.
C’est aussi le moment de pratiquer ce qu’on pourrait appeler une forme d’urbanisme organisationnel, qui prépare l’entreprise à un nouveau cycle de transformations, en s’appuyant sur les 5 pouvoirs.
De l’innovation systémique au développement organisationnel
L’organisation qui maitrise les 5 pouvoirs dont nous venons de parler peut les utiliser à l’échelle d’une équipe, d’un projet, d’un service ou de tout un groupe. Largement diffusée, la culture de l’innovation reposant sur ces 5 pouvoirs est capable de transformer l’organisation et de la rendre globalement plus créative et plus agile. Dès lors, l’innovation peut jaillir de multiples sources. Elle ne sera plus cantonnée à la R&D mais pourra venir du service RH, de la production, du service commercial…
Un des avantages de l’agilité en général et des 5 pouvoirs en particulier, est que vous pouvez commencer là ou vous êtes, dans la situation et le contexte qui est le vôtre. Demandez-vous quel est votre problème les plus brûlant. Est-ce une question d’inspiration ? Devez-vous vous concentrer sur la conception ? Êtes-vous dans une phase de questionnement où l’expérimentation pourrait vous venir en aide. Rencontrez-vous de problèmes d’exécution que vous pourrez résoudre de manière créative ? Pouvez-vous repenser votre organisation pour lui donner les moyens d’être globalement plus innovante ?
Et vous, par quoi allez-vous commencer ?
Pour vous aider à développer les 5 pouvoirs dans votre organisation nous allons les étudier en détail dans une série d’articles.
Merci Daniel pour ce post riche et intéressant.
Vous avez raison de souligner l’importance de la compréhension de la problématique de départ. Lors de mes interventions, je constate souvent que les équipes ont le réflexe d’aller trop vite vers les solutions avant de prendre le temps de s’immerger dans le monde du problème.
A bientôt,
Laurent