Aujourd’hui nous sommes particulièrement contents de vous proposer ce deuxième article autour de la CNV (la Communication NonViolente), pour aller un cran plus loin.
Pour rappel, Jean-Christophe Papot est un être résolument heureux, le genre de personne qu’il faudrait cloner pour en distribuer un à tous les grincheux qui ne voient la vie que comme un dégradé de gris. Investi dans la construction du manisfeste de l’Intelligence Collective il oeuvre maintenant pour l’IFIC. Ses activités de coaching l’amènent à animer régulièrement des stages de développement personnel et des conférences sur le bonheur, tout un programme…
Jean-Christophe nous explique un peu plus en détails ce qu’est la communication non violente
Après une approche globale de la CNV et du processus OSBD (Observation, Sentiment, Besoin et Demande) dixit l’article « Mais c’est quoi la Communication NonViolente (CNV), bordel ? », je vous propose ici d’aller plus profond dans ce processus, avant d’ouvrir sur des notions plus philosophiques et spirituelles.
Alors afin d’affiner le processus OSBD, je voudrais amener les précisions suivantes :
L’Observation doit être factuelle et dénuée de tout jugement. C’est à mon sens notre plus grande difficulté, car nous sommes conditionnés pour juger. Quand nous ne portons pas de jugement péremptoire « Ce n’est pas bon », nous portons un simple jugement personnel « Je n’aime pas » qui a au moins l’avantage de parler de soi. Quand vous formulez une observation, soyez vigilant à cette absence de jugement que l’autre peut ressentir comme une agression, ou comme une vérité universelle à laquelle il n’adhère peut-être pas. La différence entre « Quand tu me rabaisses» et « Quand tu me dis Jean-Christophe tu es nul » peut être floue, mais dans le premier cas, il s’agit bien de mon interprétation de l’intention de l’autre (je suppose qu’il a l’intention de me rabaisser, c’est ma projection, je suis à l’autre bout de l’écharpe*) alors que dans le second, je ne fais que répéter les mots qu’il a prononcé, je reste factuel.
En ce qui concerne le Sentiment, le piège est d’exprimer là encore un jugement, une impression, une idée et pas un ressenti personnel, une émotion. Par exemple, dire « j’ai le sentiment que tu ne m’aimes pas » n’est pas un sentiment au sens ressenti mais bel et bien une projection de ma part. De façon plus subtile, certains mots donnent l’impression de parler de mes ressentis, mais ne sont en fait que des évaluations masquées, des projections à l’autre extrémité de l’écharpe relationnelle. Dire « Je me sens rabaissé(e), ignoré(e), méprisé(e) » prête à l’autre des intentions, je ne parle plus de moi. Par contre, dire « je me sens agacé, écœuré, mal à l’aise » parle bien de ma façon de vivre la situation. La formulation « je me sens… » peut devenir très scolaire à l’usage, mais elle a le mérite de nous aider à rester dans l’esprit si je suis également vigilant à parler de moi.
Être le plus honnête possible avec soi et ce que l’on ressent dans l’instant, est le moyen le plus efficace pour identifier ensuite le Besoin touché chez moi, par ce qui se passe à l’extérieur. Ainsi autorisez-vous à ressentir, à écouter ce qui se passe en vous en cet instant. L’émotion est un message qui vous parle de vous, alors donnez-lui votre écoute et elle s’évaporera quand elle aura été entendue sur ce que vous vivez ici et maintenant.
Quand vous connectez votre émotion dans l’intention de contacter le besoin, il vous reste encore à identifier ce ou ces besoins. La difficulté à éviter est de confondre votre besoin et une stratégie mise en place pour répondre au besoin. « J’ai besoin de 1000€ » n’est pas un besoin, mais une stratégie. « J’ai besoin de m’offrir un voyage à l’étranger avec ces 1000€ » n’est toujours pas un besoin mais une stratégie. Dans ce cas, peut-être que le besoin est un besoin de changement, de découverte, de liberté ou d’autre chose et seule la personne qui ressent peut valider qu’il s’agit bien de son besoin en écoutant comment ce « mot » résonne en elle. Dans l’identification, prenez votre temps, les besoins les plus évidents ne sont pas toujours les plus profonds.
Formuler une Demande n’est pas non plus chose aisée, lorsque celle-ci doit être si possible positive, concrète, réaliste et réalisable au plus tôt. Nos automatismes nous emmènent facilement du côté obscur et nous tombons vite dans l’exigence, la culpabilisation, le jugement (encore) ou la manipulation. L’intention est de formuler une demande qui permette de répondre au besoin que je viens d’identifier sans intimer à l’autre l’ordre de le faire ni en le faisant culpabiliser au cas où il refuserait. « Accepterais-tu de ne plus me rabaisser » ramène le jugement. « Serais-tu d’accord pour arriver à l’heure à notre prochain rendez-vous afin que tu ne me fasses plus perdre de temps » possède 10 mots de trop qui, dans l’intention consciente ou non, envoient une bonne dose de culpabilisation à notre interlocuteur.
Je voudrais maintenant prendre un peu de recul pour sortir du support OSBD.
La CNV nous invite à nous (re)connecter à ce que nous ressentons, nos émotions. De cette (re)connexion, nous pouvons alors aller en profondeur pour trouver sur quels terreaux ont pris naissance ces émotions. Ces terreaux ce sont nos besoins. Nous avons tous des besoins et consciemment ou pas, nous mettons en place des stratégies pour y répondre. Toutes nos actions répondent à des besoins personnels. Que ce soit en accord avec nos valeurs, nos croyances, notre idée du bien ou du mal, tout ce que nous faisons, nous le faisons pour répondre à nos propres besoins. Quand nous sommes enfants, c’est aux parents ou aux adultes en responsabilité, de prendre en charge nos besoins (vitaux, affectifs, de jeu, d’accomplissement …). En grandissant, nous les prenons de plus en plus en charge et nous continuons d’en déléguer certains.
La CNV nous permet de prendre conscience de notre champ de besoins et également des stratégies que nous mettons en place pour les satisfaire. Ces stratégies sollicitent le plus souvent notre environnement : nos conjoints, notre famille, nos amis, nos collègues, et également nos animaux, nos biens matériels, etc… C’est fort de ces consciences, que je vais pouvoir aller vers plus d’autonomie, en cherchant comment moi, je peux répondre à mes besoins.
La symbolique des écharpes relationnelles m’éclaire sur la seule relation dont je tiens les 2 extrémités, la relation de soi à soi. Visualisez-vous cette écharpe qui part de votre main pour revenir à votre main ? Comment investissons-nous cette relation, la seule dont nous mesurons directement les retours, celle qui parle d’autonomie ? Ce que je demande à l’autre pour satisfaire mes besoins, est-ce que je peux aussi me le demander ? L’intention n’est pas, me semble-t-il, de me séparer définitivement des autres en arrêtant de leur demander de participer à répondre à mes besoins (nous vivons dans un monde d’interactions) je me dis simplement qu’en étant centré sur mes besoins (dans le sens de conscient de mes besoins et que c’est bien à moi qu’ils appartiennent) et bienveillant envers moi-même, je peux entrer en relation de façon plus saine, sans faire porter à l’autre la responsabilité de ce qui se joue chez moi, et ainsi permettre que de cette relation naisse une richesse, une créativité non polluées par mes projections. Qu’en pensez-vous ? Je dépose cela au milieu… J
La CNV est un « outil » formidable qui embarque l’accueil de soi, l’accueil de l’autre et tout ça dans la bienveillance. Elle invite à accueillir ce que nous vivons, de quoi nous avons besoin et ce avec une grande bienveillance conscient désormais que chacun agit pour répondre à ses besoins, que chacun fait du mieux qu’il peut à son bout de la relation. S’accepter soi-même avec ses ressentis et ses besoins est un moyen d’accepter l’autre dans les siens.
De cette acceptation nait la connexion à l’autre qui permet ensemble, de créer une richesse supérieure à la somme des parties. Dit encore autrement, cet accueil de soi (ce savoir être avec soi-même) qui permet cet accueil de l’autre (ce savoir être ensemble) est un booster formidable du savoir-faire ensemble et libère ainsi l’Intelligence Collective.
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Merci pour cet effort de reflexion et ce partage. Tres bel article 🙂
J’apprécie beaucoup le fait qu’il n’y ait pas de pudeur à dire le mot « spirituel », ce qui peut etre une notion plombée en contexte français. La CNV comme d’autres approches ouvre a des champs de l’être qui depassent la simple introspection egocentrique => on touche bien à la vie de l’esprit à un moment donné.
J’ai une question: dans quel contexte utilisez-vous vous-meme la CNV en dehors des moments de crise / de violence potentielle? Est elle utile sans contexte de tension?
J’ai aussi un tout petit hic quand j’arrive sur les deux derniers mots. J’ai l’impression qu’on aborde l’intelligence collective comme un être supérieur (pourquoi pas après tout?) aux vertus quasi mystiques / New Age. Comme le génie qu’on libère de la lampe, ou l’être suprême qui vit en nous que seul le grand manitou en lien avec l’Intelligence pourrait nous révéler â nous autres mortels. 🙂 j’exagère à souhait mais le lien entre CNV et intelligence relationnelle me parait limpide, mas CNV et intelligence collective, j’ai plus de réticence. L’intelligence collective peut aussi naitre des frictions, des contradictions, des conflits et des dissonances desagreables que cherche à désarmer la CNV. Pour dire vite, l’intelligence collective peut-elle etre appauvrie par la recherche de la neutralisation des tensions?
Ce serait ccol aussi de definir la violence, de reflechir dans les pas d’un René Girard par exemple, ou d’un Marcel Mauss / Bourdieu pour voir comment on peut penser la violence, et comprendre dans quels cas il faut la contenir, la minimiser, s’en detourner un Max comme avec la CNV, et dans quels cas elle demeure une ressource incontournable, nécessaire et politiquement utile… Mais c’est un autre debat!
Merci Olivier pour ce retour riche et qui ouvre à d’autres échanges. Tout d’abord pour répondre à votre question, dans ma communication à l’autre, j’utilise plus spontanément la CNV pour résoudre un conflit. Cependant, la CNV est pour moi, un moyen de changer mon comportement, ma relation à moi-même et ma relation à l’autre. Tout contexte qui m’amène à ressentir un inconfort me permet de pratiquer (potentiellement) la CNV. En pratique, il y a des fois où je ne me sens pas l’énergie et mes anciens automatismes réapparaissent (chassez le naturel…). MAIS ils reviennent de moins en moins et les nouveaux s’installent de plus en plus. Ainsi dans ma façon de voir/vivre la CNV, c’est un outil avec un champ d’applications qui n’est limité que par moi-même. La vie nous offre pléthores de situations nous permettant de nous sortir de nos conditionnements, de nos jugements et d’acquérir de nouveaux automatismes d’interactions moins… « violents ». La CNV me permet en premier lieu d’écouter ce que je vis, de quoi j’ai besoin puis dans un second temps de le partager à l’autre indépendamment du contexte (elle permet aussi de se connecter à l’autre dans ce qu’il vit). Partager à l’autre, lorsqu’il me dit « Je te trouve sensible et profond », je me sens « très joyeux », parce que j’ai besoin de « reconnaissance » est aussi une façon d’interagir et de partager ce que je vis. Nul besoin ici de formuler une demande, mais pour moi, ça reste de la CNV et il me tient à cœur d’entretenir aussi le partage de mon vécu « positif ». Tout ça pour en arriver à oui, pour moi, la CNV est utile même hors contexte de tension car elle me permet de mettre en lumière, de prendre conscience de mes besoins .
Avant de continuer sur la notion d’Intelligence Collective, j’irai sur le registre de la violence. Là encore à titre personnel, je ne suis pas fan du terme « NonViolente » à laquelle je préfère « Bienveillante ». Pour autant, je conçois qu’une communication qui parle de l’autre puisse être considérée comme « violente » car intrusive et jugeante et c’est le sens que je donne à ce mot dans ce contexte. Je vous rejoins sur la nature du débat différente quand à l’utilité de la violence . Ce mot me fait plutôt peur, et pour autant j’y vois aussi un intérêt dans l’évolution de la vie, la violence étant un stimulus qui amène à réagir et à évoluer. Je préfère ne pas continuer sur ce sujet, me sentant pauvre en expérience personnelle .
Enfin, je reviens sur l’Intelligence Collective (IC) et je crois utile de vous partager d’abord le sens que je donne à ces 2 mots mis ensemble. À ce jour, je vois l’Intelligence Collective comme la somme de la conscience collective et de l’intelligence collaborative… Dit plus clairement, c’est un savoir être ensemble au service d’un savoir-faire ensemble. Au passage, un merci à Philippe Olivier Clément et Jean-Luc Mainguy pour leurs travaux sur le sujet . Je rapprocherais mon « savoir être ensemble » de votre « intelligence relationnelle ». Je prête à l’Intelligence Collective une composante supplémentaire de savoir-faire, c’est dans un but, dans un objectif particulier que suit le groupe. Je suis également convaincu que la CNV joue directement sur ce savoir être ensemble et sans parler d’être supérieur, on observe bien une « conscience augmentée » dans ces états de connexion aux autres, de reliance, favorisés par la CNV (par exemple). Ainsi, dans ma vision de l’IC, elle ne peut pas être appauvrie par la neutralisation des tensions, car de cela naitra une connexion à l’autre qui, en augmentant le savoir être ensemble, boostera le savoir-faire ensemble (je me permets d’en parler par expérience personnelle ). Encore merci à vous.